Au milieu du XIXe siècle, la France de Napoléon III entame de nombreuses modernisations, notamment une modernisation sanitaire. Par-delà les changements de noms, cette initiative impériale lors de cette « révolution sanitaire » offrira une histoire plus vaste : développement industriel, groupe multiservices et une bascule vers la mondialisation.
Une entreprise née avec la « révolution sanitaire » au XIXe siècle
Avant 1890, aucune politique systématique de l’eau n’est appliquée ni même envisagée par les chefs d’État ou les citoyens français[1]. Néanmoins, lors du règne de Napoléon III, quelques ingénieurs font exception. À l’époque, la création de sociétés à capitaux nécessite l’autorisation des pouvoirs publics. Napoléon III lors du Second Empire (1852-1870) est connu pour avoir modernisé Paris sous la direction du préfet Haussmann. C’est en 1853 qu’il signe un décret impérial autorisant la création de la « Compagnie générale des eaux » (CGE), imaginée quelques mois auparavant par l’homme d’affaires Henri Siméon. Le projet est dirigé par l’ingénieur Eugène Belgrand et financé par les Rothschild ainsi que les Lafitte. L’objectif de la CGE lors de cette période de modernisation est d’assurer l’approvisionnement en eau et d’évacuer les eaux usées par le biais de la construction d’égouts[2].
La première ville de France à signer avec la CGE est la ville de Lyon la même année, qui s’engage à acheter son eau pour vingt-ans à un prix convenu à l’avance. S’en suit la ville de Nantes en 1854, Paris en 1860, Nice en 1864 et la banlieue parisienne en 1869. Le service proposé a du succès et la CGE signe désormais des contrats à l’international avec les villes de Venise (1880), Constantinople (1882) et Porto (1883)[3].
En l’espace de trente ans, la CGE assure le service dans 123 communes françaises et trois villes étrangères.
Une entreprise concurrencée et multiservices
Après s’être développée en France et à l’étranger, la CGE doit faire face à la concurrence. En 1880, le Crédit lyonnais met en place la « Lyonnaise des eaux », actuellement la société Suez. Afin de se renouveler, la CGE va donc se lancer dans les services d’assainissement à Reims en 1884[4]. Dorénavant, l’entreprise va rester centrée sur l’eau potable et sur le projet assainissement. En 1953, la CGE fête son centenaire, elle possède 10 000km de réseau et dessert 8 millions de personne françaises en eau potable. Cinq ans plus tard en 1958, l’entreprise se voit confier une grosse partie des marchés d’entretien des bases américaines installées en France au sein de l’OTAN. Elle élargie ses services et son champ d’expertise pour proposer des services liés à la maintenance ainsi qu’à l’énergie[5].
Jusque dans les années 1980, voire encore aujourd’hui, les services de l’eau et de l’assainissement relèvent du secteur public dans la majorité des autres pays[6]. C’est ce qui a permis à la CGE de devenir un leader mondial et de tenter une diversification. Par exemple avec la Compagnie générale d’entreprises automobiles pour la collecte des déchets ou encore la Compagnie générale de chauffe et Esys-Montenay (Dalkia) pour les services énergétiques[7].
La bascule vers la mondialisation
Dès lors, la CGE est un groupe multiservices et devient « Vivendi » en 1998. Le pôle Vivendi Environnement va ainsi regrouper l’ensemble de ses services liés à l’environnement tels que l’eau, la propreté ou encore les services énergétiques. Les actions de Vivendi Environnement sont introduites à la bourse de Paris en 2000 et intègrent le CAC 20 en 2001. C’est en 2003 que Vivendi Environnement devient « Veolia Environnement » et se déploiera en 2005 sur l’ensemble des activités : eau, énergie, propreté et transports[8].
Néanmoins, malgré la volonté de Veolia Environnement de devenir « l’industriel de l’environnement », certaines des premières villes ayant signé avec la CGE au XIXe siècle ont cessé les contrats avec l’entreprise. Durant les années 1990, de nombreuses affaires de corruption et de financement occulte ont été révélées. Ceci a entraîné une « remunicipalisation » des services d’eau. La CGE perd son contrat avec Paris en 2009 au profit de la régie « Eau de Paris », avec Nice en 2013 et Lyon en 2023[9].
Ainsi, le chemin parcouru par la CGE depuis 1853 montre qu’un réseau d’eau est avant tout un enjeu économique, politique et sanitaire. Une entreprise doit savoir observer, négocier et s’adapter à chaque nouvelle situation relevant de ces trois domaines afin de perdurer. En sachant le faire, la CGE pourrait être considérée comme une des premières multinationales françaises toujours en vigueur.
Références
[1] (Persée.fr)., GOUBERT, J-P., L’eau et l’expertise sanitaire dans la France du XIXe siècle : le rôle de l’Académie de médecine et des congrès internationaux d’hygiène, Sciences sociales et santé, Volume 3, n°2, 1985. pp. 75-102.
[2] PETITJEAN, O, et DU ROY, I, (dir.)., Multinationales ; une histoire du monde contemporain, éditions La Découverte, 2025, pp. 45-46
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Veolia.com
[6] PETITJEAN, O, et DU ROY, I, (dir.)., Multinationales ; une histoire du monde contemporain, éditions La Découverte, 2025, pp. 45-46
[7] Veolia.com
[8] Ibid.
[9] PETITJEAN, O, et DU ROY, I, (dir.)., Multinationales ; une histoire du monde contemporain, éditions La Découverte, 2025, pp. 45-46